Exercices à l'atelier Ciriani: Réflexions d'un ancien élève

La rédaction
Voici un document très intéressant. C'est celui d'un ancien élève de H. Ciriani qui décrit les exercices abordés lors du cursus universitaire durant la période où il étudiait chez ce grand architecte. Instructif, dans le sens où l'on a une idée sur comment on peut développer le discours relatif à la démarche créative.



Premier exercice à l’atelier Ciriani : l’unité d’habitation

Texte de F. Lefebvre du Prey - Ce projet nous fait rentrer d’emblée dans une approche abstraite de la conception architecturale. Nous sommes censés dans le cadre de cet exercice n'avoir aucune image préalable. Notre conception répond à des critères d'orientations, de directions, d'espace, de vue, d'usage, de verticalité, d'horizontalité etc… Pour ma part je dois avouer ne pas avoir complètement joué le jeu produisant ce projet étrangement régulier simple et même symétrique complètement à contre-courant des projets des autres étudiants. Les différentes parties sont intégrées dans deux ensembles imbriqués centripètes et centrifuges. Cette imbrication de volumes entiers et l'appréhension de l'échelle sont les deux éléments très pertinents de cet exercice. Il faudra attendre la réalisation de la mosquée d'Orly pour que j'accepte cette démarche et en apprécier ses bienfaits. L’abstraction nous permet de prendre de la distance par rapport à notre propre travail et apprécier ainsi celui-ci durablement comme n'importe quel projet d'architectes qui nous servent de modèles.




Deuxième exercice à l’atelier Ciriani : l’image




Après l'exercice abstrait de la cellule notre enseignant H. CIRIANI nous apprend à utiliser une image sans en être esclave. J'ai pris pour image Keith Richards. Le thème est à la fois la retenue et le déhanchement. Je me suis inspiré d'un projet de R. STERN ce qui m’a incité à travailler de manière orthogonale à l'intérieur de la figure générale courbe. Mon professeur a attiré mon attention sur le fait que les courbes devaient être perçues dans leur globalité aussi à l'intérieur d’où les transparences en partie haute des murs séparatifs. Cela contribue aussi à l'intelligibilité du plan au moins dans le cadre d'une promenade architecturale.
Lors de ma première esquisse H. CIRIANI m'a reproché d'avoir dessiné une guitare et d'être ainsi trop littéral. Alors j'ai déformé mon projet jusqu'à ce que la silhouette de Keith Richards apparaisse et laisse la guitare en second plan. J'ai présenté le dessin en bas à droite à l'envers puis je l’ai retourné. A ce moment l’image est apparue d'un coup, H. CIRIANI m'a alors dit que j'avais terminé mon projet. C'était un mois avant le rendu, j'étais très gêné de savoir que j'avais terminé alors que mon projet me paraissait tellement simple.

Exercice à l’atelier Ciriani : maison pour un éditeur

 


D’origine Corse, j’ai été initié très tôt à l'art italien. J'ai donc abordé ce projet de grande maison comme un palais se résumant au traitement de sa façade oubliant d'un coup les leçons précédentes. H. CIRIANI m'a dit que j'allais vers une impasse.

Voulant donner un tour spatial à ma façade palladienne, H. CIRIANI me montra alors que dans la relation d'un plan vertical et d'un plan horizontal, la solution 1 associe le vide au vide et le plein au plein et qu'ainsi les déplacements du plan horizontal d'induisent aucun bouleversement sensible de l'espace dominant.
À l'inverse dans la solution 2, où le vide et le plein sont très imbriqués, le moindre déplacement affecte la nature de l'espace. Ainsi chaque position correspond à un choix et un sens particulier. L'ensemble du projet est conditionné par le moindre déplacement. La résolution de la moindre portion de cloison se fait avec une conscience accentuée qu'elle procède d'un processus d'ensemble.

Alors sur ses conseils j'ai entrepris d'étudier les maisons de Le Corbusier. J'ai alors perçu le paradoxe suivant : L'échelle de la maison est plus grossière que celle d'un immeuble. On pourrait dire que la maison se dessine avec un gant de boxe. L'échelle de la maison doit être l'échelle domestique. Autre paradoxe l'espace représentatif de la maison est plus vaste que celui d'une unité d'habitation d'un collectif. En regardant mes croquis H. CIRIA NI fut étonné de voir que je passais indifféremment de l'échelle d'un hôtel à celle d'une maison, il s'agissait en fait de l'apprentissage de l'échelle. C’est d'ailleurs à mon avis cette appréhension de l'échelle qui distingue pour une large part les architectes.

Le jour du rendu H. CIRIANI expliqua que ma pyramide inversée était le même principe qu'il avait utilisé pour ces projets de méga structures urbaines dans les années 70 et que pourtant mon projet ressemblait bien à une maison. Le paradoxe était poussé à son comble. En affichant clairement et sans complexe mes lacunes CIRIANI m'a beaucoup donné. Il me faudra trois ans après le diplôme pour assimiler le sens du croquis proposé par mon professeur.

Exercice à l’atelier Ciriani : projet urbain - Ivry



Il est difficile d'aborder un vaste projet urbain d'une manière abstraite, or quelque soit notre attention portée au tissus environnant, l'art de la composition urbaine ne peut se limiter à prolonger l'existant.

Le site envisagé reliait la gare d'Ivry à la Seine. Étudiant, mes seules références urbaines étaient la « rue » et la « place », pure coïncidence avec les recherches en Italie pour réhabiliter les fondements traditionnels de nos villes. J'ai donc proposé une rue partant depuis la gare aboutissant à une place en bord de Seine. Un bâtiment courbe bordait la rue donnant un style plus contemporain à l'ensemble. Le rôle d'un enseignant est de transformer une intuition en intention, ainsi le bâtiment courbe établissait une progression vers la place, privilégiant une orientation de l'ensemble donnant un sens au projet. Mon professeur, CIRIANI, m'a proposé de traduire cette orientation avec seulement deux bâtiments rectilignes en les écartant vers la place. Une semaine avant le rendu, CIRIANI me demanda de trouver l'angle à donner à cet espace. Ayant observé un mois plus tôt que la place du Capitole à Rome formait un angle d'environ 15° que l'on retrouve aussi devant la Basilique de Saint-Pierre, j'ai proposé cet angle qui a pour objet de détruire l’effet de perspective depuis le point le plus étroit. Deux bâtiments parallèles fuient, en les écartant précisément de 15° vous les percevez parallèles. Ainsi les côtés disparaissent et le bâtiment du fond paraît nettement plus grand.

Cette approche peut paraître abstraite, mais il ne s'agit nullement d'une vue d'avion. L'impact est bien réel au niveau du piéton et ce avec un minimum de moyens. La première réalisation qui concrétise cette démarche est le projet que j'ai étudié comme collaborateur de C. MARTY à Cergy Saint Christophe pour 90 logements.

Source: Fabrice Lefebvre du Prey, Blogspot.com (12 décembre 2007)
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