Le parcours de Doshi est symptomatique de la recherche d'une architecture moderne adaptée aux spécificités de l'Inde. Il avait travaillé avec Le Corbusier et fait sienne l'idée qu'il était nécessaire de trouver un équilibre harmonieux entre industrialisation et nature. Mais il ne copia pas les formes de son mentor et mit progressivement au point sa propre philosophie et son propre vocabulaire.
Dans l'Institut d'indologie qu'il édifia à Ahmedabad en 1961, il
parvint à transposer dans une forme moderne en béton les balcons de
pierre ou de bois du Gujerat. Ses projets de bourgades et
d'ensembles de logements des années 1960 et du début des années 1970
(certains concernant des groupes industriels, d'autres le secteur
public) témoignaient de persistantes recherches sur les
questions d'habitat et de collectivité. Il mit en place des systèmes
de construction simples et standardisés, conçut des plans adaptés au
climat et à la fonction, et en dessina des variantes
enjolivant les espaces intermédiaires. Les logements qu'il
construisit à Hyderabad (1968-1971) étaient pourvus de terrasses et de
surplombs inspirés par le vernaculaire de pierre brute de la
région, avec une attention particulière portée à l'orientation, Ã
l'ombrage, à l'écoulement des eaux, à la ventilation croisée naturelle
et à la distinction par paliers entre espace privé et
espace public. Doshi voulait éviter les grands vides entre les
bâtiments (comme à Chandigarh) et créer quelque chose qui soit plus
proche du modèle urbain serré et dense de la rue des villes
indiennes traditionnelles. Il savait pertinemment qu'il était
absurde de se complaire dans un style paysan nostalgique, en particulier
dans un pays - l'Inde - où le sort du paysan n'avait rien de
romantique. Ses constructions étaient parfois destinées à la
nouvelle bourgeoisie et rigoureusement conçues pour satisfaire les
exigences et les habitudes d'une Inde nouvelle dans laquelle se
mêlaient valeurs locales et occidentales. Il fallait trouver des
formes qui cristallisent cette situation, et Doshi savait aussi tirer de
la théorie et de la pratique internationales
contemporaines ce qui lui était nécessaire. Une grande partie de
l'architecture la plus raffinée de l'histoire indienne provenait
d'ailleurs d'un brassage d'influences locales et étrangères.
Même le nationaliste le plus convaincu était obligé d'admettre que
tout ce que le pays avait de meilleur n'avait pas forcément une origine
locale. En Inde, c'est dans les années 1970 que
l'architecture moderne commença à affirmer un caractère propre. En
témoignait d'abord l'ordre de plus en plus complexe, intégrant le dedans
et le dehors dans des strates structurelles mélangées ;
il y avait aussi la polychromie, résultant de l'utilisation de
divers matériaux locaux et de finitions en crépi lavé, qui changeait de
l'uniformité lassante de la brique et du béton ; un
troisième caractère original tenait à l'évolution des procédés de
traitement de la lumière, du soleil et de l'air (lattis protecteurs,
écrans, etc.) ; un dernier enfin était une meilleure
intégration du paysage et de la tradition. L'Institut indien de
gestion de Bangalore (1977-1985), conçu par Doshi en association avec
Joseph Allen Stein et Jai Bhalla, était une synthèse de ces
caractéristiques : enclos ombragés reliés par des galeries, cours et
axes non rectilignes, plates-formes intermédiaires favorisant les
rencontres informelles, jardins enchevêtrés, pergolas et
murs, variations de lumière, d'ombre et de texture. C'était comme si
la planification en réseau de Team X épousait la polyphonie spatiale Ã
strates multiples des grandes réalisations indiennes
traditionnelles telles Fatehpur Sikri ou les villes-temples
labyrinthiques de l'Inde du Sud. Dans cette quête d'une identité
indienne, la permanence des principes était privilégiée, et non les
différences entre périodes ou cultures (bouddhiste, hindouiste,
musulmane, jaïniste, etc.). On espérait ainsi redonner vie aux "
structures " du passé en les replaçant dans le présent, et
insuffler un certain esprit indien dans les constructions modernes.
Source: cmaville.org