L'architecture comme relation au monde
Par Stéphane Gruet (CEMAVille)- Pierre-Louis Faloci fut notre invité en 1992 pour une première conférence à Toulouse. Il nous avait présenté, entre autres projets, les études alors en cours du Musée du Mont Beuvray. Dix-sept ans de travail plus tard, cette Å“uvre d’une remarquable continuité, aujourd’hui largement reconnue et inscrite par William Curtis dans son « Histoire de l’architecture moderne depuis 1900 », méritait bien l’exposition rétrospective qui lui est consacrée au Centre Méridional de l’Architecture et de la Ville — et bien sûr, une nouvelle conférence.
Par Stéphane Gruet (CEMAVille)- Pierre-Louis Faloci fut notre invité en 1992 pour une première conférence à Toulouse. Il nous avait présenté, entre autres projets, les études alors en cours du Musée du Mont Beuvray. Dix-sept ans de travail plus tard, cette Å“uvre d’une remarquable continuité, aujourd’hui largement reconnue et inscrite par William Curtis dans son « Histoire de l’architecture moderne depuis 1900 », méritait bien l’exposition rétrospective qui lui est consacrée au Centre Méridional de l’Architecture et de la Ville — et bien sûr, une nouvelle conférence.
C’est sans doute dans son Å“uvre muséographique —le Mont Beuvray, le
Struthof, le Musée Rodin, Rochefort—, que le « style » de l’homme
s’exprime avec le plus d’éloquence, une «
éloquence qui se moque de l’éloquence ».
En effet, nul effet formel ne s’y manifeste. Nous sommes là aux
antipodes de ce plasticisme très en vogue où l’architecture prend des
allures sculpturales à l’échelle urbaine. Jamais cette
architecture ne capte ni n’arrête le regard pour elle-même. Son
élégance suprême tient en ce qu’elle s’impose par l’évidence : elle
privilégie autrement dit la maîtrise du vide pour rendre
visible (videre) le monde.
Par des plans verticaux ou horizontaux glissant librement dans
l’espace, et les seules lignes verticales et les horizontales des
structures porteuses, elle conduit le regard. Le langage
architectural est résolument abstrait et moderne : avec une grande
économie de mots, tout en rythmes, en vibrations, en rapports de
proportions, cette architecture s’approche ici de la
sublime insignifiance de la musique.
Mais contrairement à la musique, l’architecture est dans le monde,
et elle y prend tout son sens. Comme dans les premières études du Mont
Beuvray, l’attention de l’architecte se concentre sur la
conduite de notre regard, par et au-delà de l’architecture, vers les
Å“uvres exposées, les témoignages du monde, l’histoire des hommes et des
lieux, le paysage, vers tout ce qui donne finalement
son sens à l’architecture.
L’architecture est bien ici ce dispositif qui médiatise notre
rapport au monde. Par ses rythmes, ses proportions, les vibrations des
matières sous la lumière, elle nous met en relation avec
l’infini —c’est rigoureusement d’ailleurs la vocation des
proportions harmoniques ou dynamiques (rapports irrationnels : V2, V3,
V5+1/2) que de lier le fini à l’infini, la finitude de notre
cadre de vie immédiat à l’infinitude du paysage, les horizons de la
terre et du ciel.
Ainsi l’architecture, en liant le fini à l’infini par la magie des
rythmes, des proportions et des matières sous la lumière, atteint
proprement à cet idéal de l’art qui par sa beauté nous met en
relation avec ce qui transcende notre triste finitude, avec cette
infinitude du sens qui est l’horizon de toute connaissance possible.
En cela l’architecture est bien plus qu’un abri, une simple
construction technique, elle ouvre et détermine un regard sur le monde,
une com-préhension, pour ainsi dire du monde. En nous mettant
en retrait du monde dans un espace clos, soustrait à sa totalité,
ailleurs et cependant toujours en lui, elle nous permet de le contempler
en retour, de le comprendre sans cesser d’être compris
par lui. Du sein de ce monde artificiel que nous nous faisons —«
Å“uvre de notre déterminisme » (Le Corbusier) — nous entrons en relation
avec l’altérité du monde, le monde infini de la
physis (nature) des paysages (ruraux ou urbains).
Et c’est là ce que veut dire « habiter » le monde et c’est en cela
que l’architecture est le premier et le plus essentiel de tous les arts,
puisque c’est celui qui nous permet de vivre
ensemble, entre hommes, entre les hommes et la nature entière.
Stéphane Gruet, le 21 avril 2009 (Source du texte)