« Interrogeons-nous un instant sur la valeur mythique des tours contemporaines. On peut voir aisément ce que l'acte de dresser un monument plus haut que toute chose suscite en l'Homme de sentiments, qui, tous, touchent à la représentation du sacré et de la puissance. Ce signe en notre monde se fait celui de la puissance industrielle, commerciale, politique. Où se dressèrent les premières tours modernes ? À New York, en Amérique. Au lieu où se dressa La Liberté de Bartholdi, tour-statue. »
Robert Auzelle, Clefs pour l'urbanisme
Tour :
n. f., XIIe s. ; lat. turris. Bâtiment construit en hauteur dominant un édifice ou un ensemble architectural (souvent destiné à la protection militaire) (Le Robert).
Les synonymes de tour en rapport avec l’architecture sont, dans l’ordre d’apparition chronologique, donjon, minaret, beffroi, campanile, gratte-ciel et immeuble de grande hauteur.
Il s’agit d’un terme générique s’appliquant à un édifice caractérisé par sa hauteur et sa solidité. La tour naît comme élément de défense des villes mais sa symbolique va évoluer pour devenir un élément représentatif du pouvoir d’une époque, municipal et religieux au Moyen Âge, industriel et technologique à la fin du XIXe siècle. Puis l’avènement du « gratte-ciel » en cette fin de siècle affichera le pouvoir grandissant du monde des affaires.
Le terme de tour s’illustre dans l’Antiquité et à l’époque romaine comme ouvrage fortifié intégré aux enceintes militaires. Elle sert à la défense des villes comme la tour de César à Provins (Seine-et-Marne). Au Moyen Âge apparaît le vocable « donjon » désignant les tours les plus hautes des châteaux-forts. Carcassonne est un exemple de ville fortifiée incorporant des tours dominant un territoire (XIIe siècle) (1).
C’est à cette même époque que la tour s’illustre dans l’architecture religieuse, notamment dans les cathédrales avec le terme « flèche ». Dans l’architecture communale, on retrouve les termes « beffroi » dans le nord de la France (3), « campanile » dans le sud de la France (4) et dans les villes de Toscane.
L’histoire des cathédrales nous montre l’évolution pro- gressive de la hauteur de la nef et de la flèche : Reims, 81 m (2), Strasbourg, 142 m (1439-1544), Rouen, 151 m (1544-1876). Cependant cette évolution atteindra une limite. L’effondrement d’une tour de la cathédrale de Beauvais en 1573 marque la limite de résistance du sytème de voûtes en pierre.
À la fin du XIXe siècle, le skyscraper, traduit en français par « gratte-ciel » apparaît outre-Atlantique dans les villes de Chicago (Home Insurance Building, 1885) et de New York (NY Tribune Building, 1873). La grande hauteur de l’édifice est permise par les innovations techniques de l’époque (invention de l’ascenseur en 1857 à NY par E. Otis et progrès de la sidérurgie permettant des ossatures métalliques).
C’est au même moment que la tour Eiffel (324 m avec l’antenne) (6) est réalisée pour l’Exposition universelle de 1889. Elle sera la plus haute tour du monde pendant plusieurs décennies et illustrera les performances des structures en acier.
L’évolution du gratte-ciel américain suivra les styles des différentes époques : l’école de Chicago (fin XIXe siècle), néogothique (1900-1920), Art déco (1920-1930), style international (1930).
La loi sur le zonage de 1916 à New York remet en question l’impact des premiers gratte-ciel « monolithiques » et tente d’adapter leur hauteur à l’ensoleillement global des édifices au niveau d’un îlot. Cette loi mettra en place le profil crénelé des étages hauts caractéristiques des gratte-ciel de l’époque dite Art déco (5).
En parallèle au développement du gratte-ciel aux USA, Le Corbusier va développer un modèle de tour entrant dans son projet de « Ville radieuse » qui s’oppose au modèle américain. La tour devient un objet isolé dans un espace vert continu (cf. la Cité radieuse de Briey) de manière à lui apporter un ensoleillement et un dégagement, comme le préconisent les principes du CIAM.
En France, la première apparition de tours remonte à 1934, à Villeurbanne (7), mais c’est dans la période d’après-guerre, dite « de la reconstruction », que la construction de tours en France va réellement débuter. La tour Perret à Amiens est l’une des premières en Europe (1954, 104 m) ; elle est constituée d’une structure en béton armé. De même à Notre-Dame du Raincy (1923, 43 m), l’architecte utilise ce matériau pour réaliser la première église en béton armé de France. À Grenoble, il construit une tour d’orientation culminant à 100 m pour un diamètre de base de 9,4 m (8).
À Paris, la construction de la tour Montparnasse (1973, 209 m) marque un tournant dans la perception des tours en France. La réticence des Parisiens et des pouvoirs publics est liée à l’aspect dominant de la tour occultant les fenêtres urbaines (rue de Rennes, rue des Saints-Pères). En conséquence, lors de l’élaboration du Plan d’occupation des sols de Paris de 1977, un plafond des hauteurs est fixé. Les tours du quartier des Flandres et du front de Seine feront cependant exception à cette règle.
En 1977, apparaît la réglementation sur les « immeubles de grande hauteur » (IGH.) fixant les règles à respecter pour les immeubles d’habitation dépassant les 50 m.
Robert Auzelle, associé à la réalisation du quartier de la Défense (9/12), a montré, dans Clefs pour l’urbanisme, l’alternative possible aux tours avec des immeubles de R + 5 répondant aux mêmes programmes. La démonstration montre que la notion de « densité humaine » peut être approchée différemment (10).
Aujourd’hui, la tour a pour ambition d’intégrer les innovations technologiques réduisant en particulier son coût énergétique. Elle peut aussi s’intégrer dans un site, un paysage urbain, pour en devenir un symbole, par exemple la tour Agbar de J. Nouvel à Barcelone (145 m), le Turning Torso de S. Calatrava à Malmö (190 m) (11), la tour de la Part-Dieu à Lyon (165 m) (13). Dans la démesure, la tour de Burj Dubaï atteint la hauteur de 818 m, un noyau en béton haute performance permettant ce nouveau record.
« Aujourd’hui, les impulsions politiques et idéologiques d’une part, le commerce et la technique d’autre part, ou les deux à la fois, paraissent plus variés, plus complexes et impénétrables. Il est difficile de trouver une implication unique à la passion actuelle pour les tours.
Si, dans les deux cas, le rapport à l’Homme n’est pas aisé à établir, le rapport divin est aujourd’hui rarement évident » (E. Heinle et F. Leonhardt, Tours du monde entier, 1988, p. 131).
V. ANGLE DE DEUX VOIES, CENTRALITÉ, FENÊTRE URBAINE, FRONT BÂTI, LIGNE DE CRÊTE, PLAN LUMIÈRE, REPÈRE, SILHOUETTE URBAINE.
Source: Arturbain.fr
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